La fille aux plantes Une nouvelle d'Elisa Lafay (13 ans)


Quand Baptiste repense à cette histoire, il pense à elle… La fille aux plantes… De plus, il ne sait même pas son nom. Mais il l’attend encore, et il est sûr qu’elle reviendra. Elle habitait près de chez lui, la maison blanche juste à coté. Elle avait une crinière rousse qui lui descendait aux chevilles, de grands yeux clairs, et une multitude de taches de rousseur. Il la voyait tous les matins, se dirigeant lentement vers l’arrêt du bus au bout de la rue, mais il n’osait jamais l’aborder. Pourtant, un beau jour, il y a 2 ou 3 ans…

Aujourd’hui, je me suis réveillé heureux. Pourquoi ? Parce que j’ai enfin décidé de tenter ma chance auprès d’elle. Je me suis préparé, et je suis enfin parti pour le collège, mon sac aux épaules, comme d’habitude. Et je l’ai attendue. A 8h15, je l’ai vue. Je suis allée vers elle et je l’ai saluée. Elle est passée sans me voir. Je l’ai appelée, mais elle ne s’est pas retournée. A ce moment-là, son bus est arrivé, elle a couru et est montée dedans. Je trouve ça bizarre. On aurait dit qu’elle ne m’avait réellement pas entendu. Mais c’est impossible, j’ai crié si fort !

Désemparé, j’ai fini par prendre le chemin du collège. Que pouvais-je faire d’autre ? J’y suis arrivé en retard. J’ai couru jusqu’à ma salle de français, où j’avais cours avec le prof que je déteste le plus au monde (d’ailleurs il me le rend bien) :

M. Trobre. Quand il me vit, ce fut immédiat :  » Va tout de suite me chercher un billet de retard, et dépêche toi !  » Ce que je fit, bien que, pour 5 minutes de retard, il aurait pu laisser passer ! Après 3h de cours que je passai à m’ennuyer, je m’échappai pour rentrer déjeuner chez moi.

Quand j’arrivai dans la rue, j’eus la surprise de la voir, en compagnie d’une jeune femme, que je pris pour sa mère. Les regardant de plus près, je vis qu’elles parlaient avec les mains. Je me frappais le front. Mais bien sûr ! Si elle ne m’avait pas entendu ce matin, c’est parce qu’elle était sourde ! J’aurais pu y penser avant !

J’ai arraché une feuille d’un de mes cahiers, et j’y ai écrit :  » Salut ! Je m’appelle Baptiste, j’ai 13 ans et je voudrais être ton ami.  » D’accord, c’était nunuche, mais je ne savais pas quoi mettre ! Comment l’aborder ? Quand elle me vit, elle se mit à rire, mais à rire… J’en étais tout rouge ! Puis elle vint vers moi et me dit  » Salut ! « . Je lui répondis. Elle me dit :  » Tu as dû le deviner, je suis sourde, enfin presque. Soit tu hurles dans mes oreilles, soit tu me parles en langage des signes, si tu le connais.  » Par bonheur, je le connaissais, mes deux grands parents sont sourds comme des pots ! Et nous avons commencé à parler, ou plutôt à signer. J’appris qu’elle venait d’avoir 13 ans, qu’elle avait une très grande soeur et qu’elle était nouvelle ici, elle avait emménagé depuis quelques mois et qu’elle allait venir dans mon collège dans quelques semaines. A ce moment là je réalisais que je devais rentrer au collège. Je partis en courant, en m’excusant, pensant que deux billets de retard, pour une seule journée, ce serait un peu exagéré. En y arrivant, je me rendis compte que je n’avais pas déjeuné ! Mais tant pis, je n’avais pas perdu mon temps…

Le lendemain, c’était samedi, et je la retrouvais à 8h15, alors que nous ne nous étions pas donné le moindre rendez-vous. Nous avons repris la conversation, et à midi, ma mère m’appela. Le soir, dans mon lit, j’ai repensé à tous les évènements des derniers jours, et je me suis rendu compte que j’étais amoureux d’elle.

Dimanche, elle me dit que sa soeur voulait que je vienne chez elles. J’acceptai, et me demandai à quoi ressemblait sa maison, et surtout sa chambre. Sa soeur (la jeune femme que j’avais pris pour sa mère) me souhaita la bienvenue, et nous offrit un gâteau délicieux. Puis nous sommes montés dans sa chambre. Je l’avais déjà imaginée, mais toutes les chambres que j’avais imaginées ne ressemblaient pas à la sienne. Elle ouvrit la porte, et je fus abasourdi. Sa chambre disparaissait sous des centaines et des centaines de fleurs, feuilles et plantes ! On ne voyait plus les murs, ni le plafond, et les meubles disparaissaient presque sous toutes ces plantes. Il n’y avait pas de lit, et je conclus tout de suite qu’elle devait dormir ailleurs, l’environnement de ces végétaux devait être mauvais pour dormir. Elle me regarda les yeux brillants, et m’expliqua que ces fleurs étaient tout pour elle, et qu’elle ferait tout pour elles. Elle me parla longtemps d’elles. Je comprit qu’elle ne vivait presque que pour ces plantes. Nous sommes resté longtemps à parler de tout et de rien, mais elle parlait surtout de ses fleurs, me disant le prénom qu’elle avait donné à chacune ( » Elle c’est Julie, celle-là se nomme Sofia…) et je compris par certaines de ces allusions qu’elle avait perdu ses parents dans un accident quand elle était très jeune, dans le même accident qui l’avait rendue sourde, et qu’elle avait reporté l’amour qu’elle leur portait sur ses plantes. Maintenant que j’étais en vacances pour une courte semaine, j’allais la voir tous les jours, et elle venait me voir. Elle m’expliqua comment jardiner, tailler… Et j’ai eu bientôt la même passion qu’elle. Le dernier jour des vacances, un dimanche, elle m’apprit qu’elle allait venir au collège lundi. J’étais si content ! Le soir je la quittais et j’allais me coucher, car j’étais épuisé.

Mais pendant la nuit, un incendie se déclara, et sa maison et celle de ses voisins brûlèrent entièrement. Le lendemain, j’ai appris qu’il n’y avait aucun blessé, car tout le monde avait été évacué à temps par les pompiers intervenus aussitôt, et que c’était sûrement une négligence qui avait causé cet incendie. Je suis parti pour le collège soulagé, persuadé d’y retrouver mon amie. Mais, à ma grande surprise, je ne l’ai pas trouvée. Je l’ai cherchée encore, dans chaque classe, pendant la récré, puis je suis allé me renseigner au secrétariat, où on m’a dit qu’on savait qu’une nouvelle élève devait venir, mais qu’on ne savait pas pourquoi elle n’était pas venue.

Le soir, quand je suis rentré chez moi, j’ai trouvé une enveloppe sur mon paillasson. A coté était posée une superbe plante avec une fleur jaune. Il y avait écrit sur l’enveloppe : Pour mon ami Baptiste. Je l’ouvrit, et je lus :

Quand tu liras cette lettre, je serai déjà très loin, avec ma soeur, mais je penserai à toi. Je suis désolée d’être partie si vite, sans te dire au revoir, mais cette ville et cette rue me rendent folle à présent. Rien que leur souvenir…Cet incendie affreux a détruit toutes mes plantes, que j’avais soignée avec tant de peine, d’amour et de temps ! Elles étaient ma seule raison de vivre… Pendant l’incendie, j’ai couru dans ma chambre, et j’ai pu sauver Mathilde, ma préférée. Je te l’offre, et j’espère que tu la soigneras avec le même amour que moi. Mes plantes… Je voudrais mourir, mais ma soeur ne veut pas. Elle m’emmène pour que je me fasse soigner dans un hôpital, un asile où elle viendra me voir souvent. Je ne peux pas emmener Mathilde. Un jour, peut-être, si je peux, je reviendrai te voir. Mais en tout cas je ne t’oublierai jamais. Prends bien soin d’elle…et de toi…

Adieu, ou au revoir…

Quand j’ai fini de lire cette lettre, j’ai pleuré, mais j’avais fait mon choix. Je l’attendrai…

Aujourd’hui, Mathilde est en pleine forme. Et Baptiste rêve. Pourquoi ? Parce que, alors que la maison d’à coté, bien que restaurée, était restée vide jusqu’à maintenant, deux nouvelles voisines venaient d’arriver. Elles parlent avec les mains, et la plus jeune a de longs cheveux roux qui lui descendent jusqu’aux chevilles…