Les samedis.


Le samedi

Depuis 1969, nous avions pris l’habitude d’aller déjeuner chez Robert et Suzy, dans leur petite salle à manger, dans la Fondation Rothschild près du Marché d’Aligre, à Paris ; ça nous permettait de les voir régulièrement. Puis cette tradition familiale a pris de l’ampleur.

Initiée par Annie et Max à leur retour de Tunis, l’habitude a été poursuivie par Eliane et sa famille à son retour de Nîmes. Puis Annie et Jean-Pierre partent à Béziers, en reviennent ; les quatre filles des soeurs Chemla grandissent, et les samedis continuent : la tablée s’accroît..

Les cousins et cousines, les oncles et tantes de tous les coins de France, savent que le samedi à midi, la famille est réunie : chacun prend donc l’habitude, qui de s’inviter sans prévenir, qui d’annoncer sa venue, qui de débarquer pour le café.

Le restaurant « chez Bob » est né : car Robert cuisine, il aime ça, il invente et la tablée de samedi sert de test, ses spécialités sont réputées. A sa mort, nous retrouverons des listes où il notait systématiquement le nom des invités, et le menu. Suzy sert, débarrasse, vaque, bavarde et prend des photos : ses albums gardent le souvenir de tous les invités du samedi ; sur ces photos, on a toujours la bouche pleine.

Tous nos amis ont participé, une fois ou souvent, aux déjeuners du samedi ; ce lieu de retrouvailles, bruyantes et gaies, pendant lesquels les discussions et récits pouvaient nous faire oublier de féliciter le cuisinier ; ces tablées trop denses où il fallait jouer des coudes pour atteindre son assiette, mais où les assiettes étaient toujours pleines et les plats délicieux.

On arrivait, on mettait les pieds sous la table ; puis, dès le café fini, on s’envolait jusqu’à la semaine prochaine, disant à peine au revoir. la semaine devenait l’intermède entre deux samedis, la conversation reprenait avec les présents, là où elle s’était arrêtée la semaine d’avant avec d’autres ; « et celle-là, au fait, je vous l’ai racontée ? »

Ce déjeuner du samedi était le symbole de cette famille : éclatée, diasporique, et cependant conservant le fil toujours solide des débats, des idées, des échanges.. et bien sûr, autour d’un plat copieux et généreux.

Robert nous a quitté à plus de 90 ans ; presque impotent, jamais il n’a voulu cesser de cuisiner, pour réunir cette joyeuse bande autour de lui, pour que la vie passe toujours, le samedi midi, par sa table.